“Cinéma antillais, un cinéma en résistance” ou le paradoxe d’une représentation militante conventionnelle

Réalisé par Alexandre Hilaire, Cinéma antillais, un cinéma en résistance est un documentaire sorti en 2019. Entre images d’archives, extraits de films et entretiens individuels, le réalisateur propose un récit sur “le cinéma antillais qui a émergé au cours de ces cinquante dernières années”. En quoi ce panorama reflète-t-il les problématiques actuelles de l’audiovisuel antillais ?

Des générations identifiées

Les premières minutes posent le décor en montrant des extraits de reportages d’actualité des années 50 sur la Martinique. La voix-off explique alors l’enjeu principal du cinéma antillais : reprendre le contrôle du récit sur les Antilles. Les premiers cinéastes comme Gabriel Glissant (Martinique) ou Christian Lara (Guadeloupe) utilisent leur caméra de façon militante en cherchant à montrer la réalité complexe de leur île. Ils ouvrent la voie à Euzhan Palcy. Son statut de première femme noire césarisée (Rue Cases-Nègres, 1984) souligne le potentiel du cinéma des Antilles mais aussi la densité de la forêt construite pour justifier le maintien des Antillais dans la case “exotisme”. La réalisatrice martiniquaise s’inscrit donc à la croisée de deux générations : les pionniers des années 70 légitimant les Antillais et leur culture comme sujet de cinéma à part entière et les héritiers des années 90/2000 qui se tournent aussi vers la diaspora. Son film Siméon (1993) illustre bien la mise en scène d’une représentation entre les Antilles et la France hexagonale.

Dans les années 90, le canevas établi par les pionniers locaux des années 70 s’élargit donc pour intégrer les Antillais de l’hexagone et représenter leur vie là-bas. Alors que Constant Gros-Dubois avait décrit les problématiques auxquels sont confrontés les Antillais (racisme et identité) dans Ô Madiana (1979), les réalisateurs comme Lucien Jean-Baptiste (Martinique) et Pascal Légitimus (Guadeloupe) changent de registre. Utiliser la comédie familiale leur donne l’accès au grand public. A mon sens, c’est à partir de là que le documentaire entre dans le consensuel et dans le conventionnel.

Une résistance contemporaine invisibilisée

Dans la génération des années 2010, le discours porte davantage sur la mise en scène d’un style antillais porteur d’universalisme… Cette 3ème génération symbolisée par Nicolas Polixène et Richard Scott Thamar donnent l’impression que le cinéma antillais est suffisamment développé pour se diversifier et sortir du militantisme pur, mais le documentaire passe rapidement sur cette perspective. Peut-être que cela a été coupé au montage, mais l’élément manquant reste la notion de cinéma divertissement aujourd’hui. Tout le monde s’accorde pour déclarer l’existence du plafond de verre et sur la difficulté de trouver des financements. Certes, l’argument de la quasi-toute puissance des grandes familles des Blancs-pays pouvant bloquer un projet qui ne leur convient pas se tient. Par contre, il ne peut pas expliquer à lui seul le fait que ce documentaire n’aborde pas la diversité des genres comme discussion nécessaire pour développer cette industrie. Où sont celles et ceux qui mettent en scène le folklore antillais, l'histoire antillaise dans notre monde contemporain et arrivent même à le transposer dans un futur qui se joue actuellement ? Je pense notamment au court-métrage Trafik d’info (2005) de Janluk Stanislas, reconnu comme premier film de science-fiction caribéen. Je pense à Alain Bidard et à Khris Burton qui eux aussi explorent la science-fiction. A eux deux, ils cumulent plus de 50 nominations dans des festivals internationaux et plus de 20 victoires, ce qui prouve que le cinéma antillais ne se cantonne pas à la comédie ou au drame pour habiller une forme acceptable de militantisme. Et, à mon sens, c’est sur ce point que se joue aussi désormais la question de la représentation. Pas juste par rapport aux thèmes des histoires racontées mais par rapport aux artistes qu’on décide comme importants ou pas, ceux que ce genre de documentaire met en avant pour l’Histoire. Ci-dessous, un synopsis officiel.

Le cinéma antillais a grandi dans l’ombre de la métropole. Militant, il se bat depuis cinquante ans pour exister. Issu des questionnements et revendications qui ont aussi traversé le cinéma afro-américain des années 1970, il aborde sans tabous l’héritage colonial, l’identité, le racisme et la représentation des acteurs noirs à l’écran. A travers des extraits issus de grands films (O Madiana, Coco la fleur, Nèg Maron…) et les témoignages de cinéastes engagés, Cinéma antillais raconte l’histoire d’un cinéma en résistance qui reste aujourd’hui, injustement, peu connu. 

Un cinéma peu connu de qui ? Un cinéma peu connu par rapport à qui ? Et être “connu” pour quelle finalité ? En plus de l’absence de cinéastes qui contribuent à la diversité du cinéma produit en Guadeloupe et en Martinique, ce qui m’a interpellé est l’absence d’un discours sur une production et une reconnaissance où l’Hexagone est replacé en périphérie. Encore une fois, peut-être que cela a été coupé au montage, mais Richard Scott Thomas est le seul à prononcer le mot (afro)caribéen. Et c’est là que j’interroge le sens de l’adjectif antillais du titre. Est-il purement géographique ou l’illustration de cette vision d’un cinéma de Guadeloupe et Martinique ne pouvant exister indépendamment de l’Hexagone, d’un cinéma ne pouvant être digne d'intérêt que s’il est justement dans “l’ombre de la métropole” ? Certes, il y a le problème de la production, mais qu’en est-il de la question actuelle de la distribution sur le plan national et sur le plan mondial ? Qu’en est-il de la structuration en cours d’une industrie cinématographique intégrée dans la Caraïbe ? Ce ne sont pas des questions rhétoriques, car même moi à mon niveau de recherche de passionnée (mais rigoureuse), je suis facilement tombée sur les initiatives de personnes de la Guadeloupe et de la Martinique se démenant pour faire briller d’un cinéma caribéen symbole de diversité culturelle. Mais il est vrai que si une association comme Yé Clik existe depuis 2002 en Guadeloupe, les initiatives de circuits parallèles de diffusion comme Cinémawon ou le festival du film Nouveaux Regards se sont concrétisées à partir de 2016. Ce constat renforce mon impression que ce documentaire arrête (consciemment ou pas) son discours à 2015… Si les enjeux de distribution sont évoqués par ces cinéastes de 2ème génération, les perspectives d'ouverture pour trouver des solutions sont passées sous silence.

Abordé dans une démarche de rétrospective, Cinéma antillais, cinéma en résistance offre une belle introduction à l’histoire du cinéma antillais du XXe siècle et début XXIe siècle. Les extraits de films et d’archives permettent de se replonger dans ces époques et de mettre en lumière des cinéastes de talent. Il est important que leurs souvenirs nous soient transmis. Néanmoins, l’existence même de ce documentaire reflète le paradoxe de la situation actuelle du cinéma antillais. Est autorisé le discours sur un cinéma comme outil militant, sur un cinéma limité dans son développement par rapport à l'hexagone. Qu’en est-il des autres résistants, des “marrons” contemporains à l'œuvre depuis une vingtaine d'années ? À mon sens, l’approche de ce documentaire date du passé et illustre cette vision monolithique du cinéma antillais. Tout ce qui est dit aurait pu être dit il y a 5 ans voire 10 ans. Et mon commentaire sur le fait que ce documentaire peine à présenter les enjeux actuels de ce cinéma, à montrer les autres alternatives de résistance et à le penser dans une diversité des genres aurait été valable. Mes exemples pour appuyer mon propos sur celles et ceux tournés vers un horizon caribéen pour toucher l'international auraient déjà aussi été valables.

Peut-être, n’était-ce pas le propos… Même si la séquence de contextualisation historique du début me semblait annonciatrice d’une résistance à penser effectivement dans sa pluralité contemporaine. Je pense que le cinéma caribéen dans son ensemble est un cinéma en résistance, aujourd’hui plus que jamais. L’élu de la prochaine génération dont je parlais en 2016 est sûrement dans la phase de production. Et j’ajoute aujourd'hui qu’elle ou il émergera probablement du mouvement de ces résistances que ce documentaire n’a pas mises en lumière.