“Conmissariat” ou une BD animée à l’antillaise

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ndlr : article publié pour la première fois sur le blog myinsaeng.com le 3 juin 2016. Je le remets en ligne ici avant de publier ma review de La Casa Del Makrel. A la fin de l’article, vous pouvez trouver une mise à jour.


Coïncidence ou destin, j’avais découvert cette webserie le jour de la mise en ligne du premier épisode dont outremersbeyou a fait la promo. Intriguée, j’ai regardé, j’ai souri, et je me suis dit que je regarderai le second épisode pour me faire une véritable idée… sauf que ça m’est sorti de la tête. Mais ce n’est point grave ! Le dernier épisode a été mis en ligne le 24 février, donc le timing est parfait pour faire une review. Je rappelle que mon but n’est pas de faire de la critique gratuite mais simplement de promouvoir la créativité en donnant mon avis.

Produite par Believe Digital et Yarma Vidéos, Conmissariat est une série de 11 épisodes d’environ 5 minutes chacun. Elle met en scène l’équipe d’un commissariat en Guadeloupe à travers des mini-sketchs. Nous avons James Untel, faux naïf en stage de réinsertion après avoir fait de la prison ; Boloko, le playboy boloko ; Marise, qui aime les potins mais dit ce qu’elle a à dire quand quelque chose ne lui plaît pas ; Boslà, le boss qui croit tout savoir mais ne sait rien.

Un humour lokàl

L’humour qui me fait rire, c’est le style “deadpan comedy” dans le genre “Parks and Recreation”. Conmissariat propose un humour léger et terre-à-terre, donc je ne suis pas le public cible a priori. Néanmoins, j’ai pris plaisir à regarder cette webserie. Tout d’abord, elle est locale. Ce n’est pas juste par rapport à l’emploi du créole, je parle des mises en situation même et de l’interprétation des comédiens. Les attitudes, les réflexions sont authentiques et elles compensent largement pour ce que l’écriture ne m’a pas apporté parfois. Je pense d’ailleurs que c’est le seul point “négatif” que je pourrais trouver. Il y avait quelques flottements dans les dialogues dans les 5 premiers épisodes et ça se ressentait dans le timing quand les acteurs jouaient. Les caractéristiques spécifiques de chaque personnage ne sont pas toujours en relief. Par exemple, d’après la description mise en ligne par outremersbeyou, Bosla n’avait pas vraiment envie d’être policier et a été recruté par son oncle. Il a un enfant de 2 ans dont la mère est partie vivre à l’étranger. Sur papier, c’est un personnage riche et original. Après avoir visionné tous les épisodes, la seule chose qui ressort est le fait qu’il se croit boss et on peut lui faire confiance pour ne pas résoudre une affaire. Tout le reste, le fait qu’il a été recruté par son oncle, qu’il n’a jamais voulu être policier, qu’il est papa à plein temps, à moins que je ne me trompe et si je me trompe ça montre bien que ce n’était pas mis en avant, mais aucun de ces détails n’est mentionné.

Des personnages lokàl

Dans le choix des situations, il n’y a que l’épisode 3 sur lequel j’émets une réserve. Une femme battue veut déposer une main courante contre son mari mais Boloko ne pense qu’à la draguer. Si nous vivions dans une société où les femmes battues n’étaient pas stigmatisées et n’avaient pas peur de porter plainte, la situation aurait de quoi être drôle, mais ce n’est pas le cas… A la rigueur, un dialogue à trois avec Marise qui prend sérieusement la plainte et Boloko qui drague comme un relou m’aurait peut-être permis de voir le comique de la situation. Ou alors si c’était un homme battu et Boloko ne comprend pas que ça existe… Oui, non. Je sais pas. C’est juste le thème de la violence conjugale qui ne me fait pas rire de toute façon.

D’une façon générale, je trouve chaque personnage attachant. C’était cool de voir les guest stars comme Daly, Dasha etc. Mon personnage coup de coeur est celui de Marise. Non pas parce que c’est la seule femme du quatuor, mais parce qu’elle correspond tout à fait aux personnages féminins que j’aimerais voir plus souvent à l’écran. Et je salue le fait qu’elle n’est JAMAIS le sujet des punchlines et qu’elle n’est jamais attaquée sur son physique ni sur son travail.

Cela fait vraiment plaisir de voir un personnage en mère qui n’a pas peur de remettre les hommes à leur place et qui est désirable et désirée. Elle est carré, directe mais ça ne l’empêche pas de faire un baccalauréat avec les autres. Elle aime les potins, elle gère ses hommes quand elle a besoin d’un service, elle est tête en l’air, bref, elle fait authentique. Boloko fait tout pour la draguer avec des “doudou” ici et là, et elle le rembarre toujours mais sans être… Je dirais blessante ? Je veux dire son agacement ne s’exprime pas par le fait de le dénigrer lui par rapport à son style. Mais c’est vraiment un aspect de l’écriture que j’ai aimé. Ils ne sont pas dans un dénigrement à outrance les uns des autres.

Une qualité lokàl

La vraie réussite pour moi dans cette websérie est le visuel. Non seulement la qualité de l’image est au rendez-vous, mais le son est d’une telle clarté que cela rend la séance de visionnage hyper agréable. La simplicité des décors souligne d’autant plus les détails qui font la différence comme les objets sur le bureau ou les affiches sur les murs pour bien dessiner l’univers (Dora Wanted… Je ris à chaque fois que j’y pense). Je pense aussi que le générique est vraiment bien fait avec l’univers bande-dessiné qui est utilisé aussi pour faire les transitions d’un sketch à l’autre. Le réalisateur et le metteur en scène tirent profit de l’espace réduit pour diversifier les prises de vue et ne pas donner l’impression d’être enfermé et de voir toujours la même chose.

Mon épisode préféré est le 10 et j’ai adoré la dernière séquence du 11 avec Marise :

Il représente tout ce que j’aime dans Conmissariat. Le côté loufoque, la localisation (où peut-on trouver une scène avec un baccalauréat ailleurs que dans une oeuvre antillaise?…), les dialogues permettent de bien identifier la personnalité des personnages et les relations entre eux. C’est pour ça d’ailleurs que je décris James comme un faux naïf parce que son personnage dans la seconde moitié est moins “simplet”. Et les punchlines sont plutôt bien rythmés.

D’après ce que j’ai compris, les membres de Ki Jan Twou Véy ont commencé en autodidactes et se sont mis sérieusement à bosser sur leurs projets à partir de 2012. Voir ce qu’ils sont capables de produire en moins de cinq ans et sans avoir de gros moyens à disposition, je dis bravo et j’ai hâte de voir ce qu’ils proposeront.

Site officiel: kijanwtwouvéy
Twitter: kijanwtwouvey


 

Màj de janvier 2019 : Trois ans plus tard, je suis toujours d’accord avec moi-même. Je pense que c’est une websérie qui séduit par sa fraîcheur et sa spontanéité. Mon regard de 2019 étant plus aiguisé que celui de 2016, les points négatifs que j’avais évoqués le sont toujours aujourd’hui. Il y a des sujets vraiment délicats qui ne me feront jamais rire, mais je peux continuer à relativiser et apprécier la série. J’espère que vous en ferez autant.

Photo : Ki Janw Twouvéy @Facebook