Bilan du #condéchallenge 2021

Voici l’ultime capsule du #condéchallenge de 2021 et son résumé. Pour écouter les capsules précédentes, cliquez ici. Pour télécharger le template bingo, c’est ici.

Dans cet épisode, je vais parler des difficultés que j’ai rencontrées pendant ce challenge. Je vais préciser ma pensée sur certains thèmes et je vais vous présenter le challenge 2022.

Les obstacles dans le challenge

Pour commencer, les obstacles. Je lis en version numérique par choix et par conviction. Pour moi, le monde numérique est l’espace, pour le moment, où l’auteur en autoédition peut avoir le contrôle de A à Z de son œuvre. Ceci étant dit, je ne comprends pas qu’il y ait des oeuvres de Maryse Condé qui ne soient pas disponibles en version numérique. Le cas de Ségou qui est appelé son chef d’oeuvre. S’il y a bien un roman de Maryse Condé qui aurait dû être disponible en format numérique, c’est celui-là. Pourtant, au moment où je faisais mon challenge, le tome 2 était disponible en e-book mais pas le tome 1. Pourquoi?

Autre obstacle, les prix. Ca c’est une particularité française. Les maisons d’édition forcent les gens à acheter les versions papier en mettant les ebooks quasiment au même prix voire plus chers que le format papier. Les ebooks de Maryse Condé coûtent en moyenne 10 euros. Et là vous allez me dire que j’aurais pu aller emprunter en bibliothèque. Sauf que dans la bibliothèque de ma ville du 93, il n’y a que 3 bouquins de Maryse Condé. D’ailleurs, je vous propose d’aller vérifier dans la bibliothèque publique de votre ville de voir combien de romans de Maryse Condé sont mis à disposition. Tout ça pour dire que je ne comprends pas comment une autrice française avec autant de récompenses a une bibliographie difficilement accessible. On peut me dire que c’est une question d’éditeur, ce sont eux qui choisissent ce qui est mis à disposition en ebook. Peu importe. En tout cas, j’ai dépensé plus de 200 euros pour lire une vingtaine de romans de Maryse Condé. Si encore l’argent lui revenait à elle, pas de souci, je soutiens les yeux fermés. Mais le fait de savoir que sa maison d’édition récupère un gros pourcentage sur un EBOOK… C’est plus ça qui me dérange dans le prix à payer. En plus, je suis désolée de le dire, mais c’est la bibliographie avec les couvertures les plus basiques que j’ai jamais vu. Tous les bouquins juste avec une couverture blanche et une petite photo au centre? Et est-ce qu’on parle des typographies?… Non vraiment, ce n’est clairement pas les couvertures qui font vendre les bouquins.  

Maryse Condé à PART dans la littérature caribéenne

Passons maintenant à ce que représente Maryse Condé à mon sens. Maryse Condé a une écriture poétique, sans fioriture pour parler de sujets sombres comme le viol, la pédophilie, l’inceste… Je pense que c’est en partie pour ça qu’elle n’est pas davantage célébrée en Guadeloupe. Ce sont des sujets tabous, elle donne l’occasion d’ouvrir le débat… Les gens préfèrent garder le silence. L’autre raison pour laquelle elle n’est pas célébrée plus que ça ou alors qu’elle agace, c’est peut-être parce que c’est une femme et elle écrit de la fiction. Elle a écrit des essais mais ce n’est pas ce que les médias mettent en avant. Si on fait le parallèle avec la Martinique, citez-moi une autrice martiniquaise tout genre confondue. Je suppose que vous aurez du mal. N’hésitez pas à me dire si j’ai tort. On est là pour partager nos connaissances, n’est-ce pas. Ce que je veux dire, c’est que Maryse Condé est là où elle est par ses efforts. Elle ne s’inscrit pas dans une filiation avec des auteurs des générations précédentes (elle les a même atomisés dans sa thèse). Elle n’a pas eu de mari intellectuel reconnu pour qu’on dise que sans lui elle n’aurait jamais écrit.

Pour ce qui est de la transmission, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu des auteurs contemporains qui la désignent comme une influence, de la même façon que Césaire et Glissant sont cités. Et je me répète mais je me demande ce qu’aurait pu être la société guadeloupéenne si les 3 dernières générations c’est-à-dire les bébés des années 2000, les bébés de 1990 et les bébés de 1980 avaient étudié les romans de Maryse Condé à différents moments de leur scolarité comme on a pu étudier Victor Hugo ou Balzac. Je ne comprends pas qu' une autrice ayant un tel rayonnement international n’ait pas été au cœur du développement culturel de la Guadeloupe. Je sais qu’elle a essayé, elle a même vécu quelques années en Guadeloupe dans cette optique et ça n’a rien donné. Et c’est ce que je veux dire, pourquoi ? Elle n’a eu de cesse d’écrire sur le peuple, de le remettre au centre, de lui tendre un miroir pour qu’il se regarde et juge seul si le reflet lui plaît. Et peut-être que c’est ça. Le reflet proposé n’a pas plu. Mais à l’international, oui. Et là, je vais partager une réflexion que je me suis faite vers la moitié du challenge donc autour de Desirada/Célanire Cou-Coupé. Pourquoi remporte-t-elle autant de prix littéraires à l’international alors que ses récits dressent un portrait sombre du peuple guadeloupéen ? Hypothèse 1: ça plaît aux autres de nous voir décrit de façon négative parce que ça correspond à l’image qu’ils ont de nous. Hypothèse 2: ça plaît aux autres parce qu’ils voient l’universalité dans le peuple guadeloupéen que Maryse Condé raconte. 

Finalement, la réponse à cette question n’est pas si importante que ça. Ce qui compte, c’est ce que sa littérature nous apporte à nous. Comment a-t-elle fait avancer la littérature caribéenne, quelles limites a-t-elle repoussées ? Quels obstacles n’a-t-elle pas réussi à surmonter?

Ce qu’elle m’a apporté

Pour moi, elle a fait avancer la littérature caribéenne en écrivant sur la quête identitaire de son point de vue de Guadeloupéenne. Elle s’est mise au centre et elle a poussé le processus jusqu’au bout en écrivant sur sa vie à elle. Elle a fait avancer la littérature caribéenne en montrant comment le peuple guadeloupéen a sa place dans l’histoire du monde, comment le peuple guadeloupéen participe à l’ordre du monde. Pardon mais je trouve triste que ma génération 30/40 ans et les plus jeunes soient dans une “redécouverte de la Caraïbe” ou alors qu’il y ait débat à viser le marché culturel caribéen alors qu’en lisant Maryse Condé, on voit que ses personnages du 20ème siècle ne s’embarrassent pas de toutes ces considérations. Ils circulent librement en fonction de ce qu’ils doivent accomplir. Ses personnages, même s’ils sont des basiques objectivement parlant, sont audacieux, ils osent faire, même quand c’est la peur qui les pousse à agir. 

Les limites de Maryse Condé

Alors je pense malgré tout que ses romans après Histoire de la femme cannibale se veulent un peu trop universels et qu’elle s’éloigne des enjeux contemporains inhérents à la Guadeloupe. Ce n’est que mon avis et ce n’est pas la fin du monde. Mais il y a eu des changements sociétaux depuis La Belle Créole de 2003. Pour parler de ce que je connais, je peux donner l’exemple du retour au pays de ma génération qui veut s’installer en Guadeloupe après avoir acquis de l’expérience dans le monde. Il y a le retour au pays des retraités des générations BUMIDOM. Il y a la question de l’identité culturelle. A partir des années 2000, elle n’innove plus en matière de références culturelles populaires mais son MCU est tellement riche à la base qu’elle compense en faisant des références à ses propres écrits. Et j’en arrive aux limites. Dans sa thèse, elle parle du fait que ses prédécesseurs écrivaient une Guadeloupe dont le peuple était absent. Ils écrivaient une Guadeloupe paradisiaque, naturelle sans habitant. Elle, elle peint la Guadeloupe à travers le peuple, mais ses tableaux ne s’intéressent qu’aux mêmes milieux : la petite bourgeoisie noire et un peu la classe populaire. Où en sont cette petite bourgeoisie et cette classe populaire aujourd’hui ? Où en est la communauté indienne ? Où en est dans l’intégration des immigrés des autres pays de la Caraïbe ? Pourquoi ses descriptions de personnages noirs révèlent un vocabulaire aussi limité? Elle normalise le terme nègre/négresse et lui donne sa pleine fonction de décrire physiquement sans porter un jugement de valeur sur la personne. Mais pourquoi jamais de variation sur la beauté noire comme elle le fait sur la beauté blanche ? Par exemple, les cheveux crépus, ce sont toujours des tignasses. Alors il y a l’époque à laquelle se déroule l’histoire qui peut jouer mais quand même… Après, il est clair qu’elle est consciente de ses limites en écriture. 

Elle écrit en Maryse Condé mais ce n’est pas suffisant pour saisir toute la Guadeloupe et elle le dit elle-même dans Mets et Merveilles. Elle a renoncé à l’écriture d’un recueil de contes populaires parce qu’elle ne voyait tout simplement pas comment garder la beauté du créole intacte. Autre limite et pas des moindres, elle n’arrive pas à imaginer une société non-patriarcale. Le patriarcat comme on le vit actuellement est un fléau. Il déresponsabilise les hommes tout en leur donnant une autorité et un pouvoir qu’ils utilisent à mauvais escient. Cela affecte la santé mentale de tout le monde. Les femmes d’un côté parce qu’il leur impose d’être dans la dépendance où elles doivent encore dire merci qu’on prenne soin d’elles alors que objectivement parlant elles se gèrent très bien toutes seules quand c’est le cas ou alors elles prennent les choses en mains mais ne reçoivent aucun remerciement. Les hommes de l’autre côté qui grandissent en étant coupés de toute émotion et de toute empathie et considèrent que tout leur est dû sans avoir des efforts à fournir en retour. Pour ceux qui fournissent des efforts, c’est au risque que leur santé mentale se dégrade sans que personne n’intervienne parce qu’ils sont des hommes et qu’ils sont censé gérer leurs émotions. 

Donc les limites de la représentation chez Maryse Condé serait… J’allais parler de diversité dans la personnalité des personnages, mais en fait ce n’est pas une question de personnalités, ses personnages sont dans une détresse psychologique qui peut aller jusqu’à la dépression, qui restent dans les limites du patriarcat. Les femmes, aussi brillantes soient-elles, cherchent le compagnon idéal chez des basiques voire des médiocres qui ne les aiment pas ou alors c’est un amour toxique et peut-on parler d’amour dans ce cas-là ? En tout cas, ce ne sont pas des femmes potomitan qui se sacrifient à tout va. Et ses personnages masculins sont rarement des hommes décents, respectueux avec tout le monde. Le seul personnage qui a ce potentiel, c’est Babakar dans En attendant la montée des eaux, mais justement il est célibataire à cause d’un lenbé, donc on ne sait pas s’il réussirait à établir une relation amoureuse saine. Dont l’hétérosexualité dans le MCU, ce ce à quoi les personnages aspirent mais ne sont pas heureux pour autant. Je vous avais dit que Maryse Condé ne stigmatisait pas les relations lesbiennes, mais je me demande si ce n’est pas parce que justement elle ne les voit pas comme de vraies relations. Par contre, quand ce sont des hommes… Je trouve que l’homosexualité au masculin qu’elle écrit est tellement caricaturale… D’autant plus quand ce sont des personnages du 21ème siècle alors que ses personnages sont d’une génération qui montre de vrais signes d’ouverture sur ces questions. Je n’ai pas dit que l’homophobie a disparu. Je dis juste que ça aurait été réaliste que ses personnages masculins du 21ème siècle se sentent suffisamment à l’aise dans leur masculinité pour que leur homophobie ne devienne pas caricaturale. Après elle dit elle-même ne pas avoir fait preuve de compréhension avec son premier fils, donc je n’en dirai pas plus sur le sujet. Juste que c’est une des limites de son écriture. Ce qui m’amène à la dernière limite et qui pour moi est fondamentale et qui est une suite… ,j’ai envie de dire logique pour moi. Elle n’a jamais écrit de personnages heureux. Alors, ses romans ne sont pas des tragédies où tout le monde meurt à la fin. Certains finissent sur une note d’espoir, mais on ne voit pas les personnages heureux. On se doute qu’ils seront heureux dans le futur, mais elle ne l’écrit. Donc peut-être que c’est à nous de l’écrire ?  

L’héritage à poursuivre ?

Dans le résumé de La Vie sans Fards dans la capsule 19, elle dit que ce roman était pour dire aux gens que le bonheur va finir par arriver. Mais quel est ce bonheur au niveau individuel ? Quel est ce bonheur au niveau collectif ? Peut-être qu’elle l’écrit dans l’Evangile du Nouveau Monde car le titre et le résumé laissent à penser qu’elle raconte une société guadeloupéenne nouvelle… Mais elle utilise encore un modèle religieux donc encore une limite dans l’écriture puisqu’elle ne voit pas le monde en dehors des codes du christianisme. Mais bon, j’en parlerai davantage quand je l’aurai lu. 

Avoir lu Maryse Condé m’a juste conforté sur le pourquoi il m’a fallu autant d’années pour écrire de la romance avec des personnages guadeloupéens et pourquoi je dois en écrire. On ne va pas attendre que la société aille bien dans son ensemble pour s’imaginer heureux. Et c’est ce que représente la littérature de Maryse Condé à mes yeux. Des tas de personnages variés qui passent tellement de temps dans la résilience ou dans la survie qu’ils n’ont aucune idée de ce dont ils ont besoin pour être heureux. Que peut-on faire pour sortir de la survie et tout simplement vivre ? Evidemment, j’ai ma réponse. Chacun aura sa réponse, mais pour la trouver, il faut déjà commencer à la chercher en nous et pas chez les autres. Se regarder nous avec nos codes et pas en utilisant les codes des autres. Maryse Condé nous a légué une littérature qui nous donne des racines. Quand je la lis, je n’ai pas besoin d’aller me chercher des ancêtres royaux fictifs ou des nèg marons idéalisés pour me dire que j’ai de la valeur, pour me dire que j’existe. Quand je la lis, je vois cette Guadeloupe contemporaine qui m’ancre sur un territoire et dans une histoire que j’ai hâte de continuer à découvrir pour voir comment je pourrai apporter ma contribution à mon tour.

Je m’arrête là parce que l’épisode est déjà long. Merci à Maryse Condé pour cette littérature exceptionnelle. Merci d’avoir fait ce voyage avec moi dans le MCU. Désolée pour ma voix un peu bizarre. J’étais au concert de Lycinaïs Jean et Nesly hier soir, j’ai trop chanté et voilà où on en est.

Karukerament en 2022

Pour ce qui est à venir. En 2022, je vais lire la bibliographie numérique de Gisèle Pineau. Par contre je vais changer le hashtag parce que le condéchallenge s’est fait piraté. Je vais juste garder le #karukeramentlit. Ca passe en français et en anglais. Je mettrai en ligne le programme de lecture en janvier mais je commencerai le challenge en mars. Cela vous donnera le temps d’acheter les romans et moi ça me permettra de me concentrer sur la publication de ma prochaine nouvelle. Elle s’intitule “Viré”, c’est un hommage aussi à Gilles Floro. Normalement, elle devrait être disponible en février. Je vous laisse deviner quelle occasion de février. Normalement, vous aurez la version augmentée de “Nwè Love” en décembre 2022. Le podcast cinéma Karukerament reviendra au premier trimestre 2022 pour son ultime saison. Le podcast musique est en cours de production. Je vous mettrai l’épisode pilote en ligne le 2 janvier. Et il y a d’autres projets qui arrivent mais j’en parlerai plus tard.  Abonnez-vous à ma newsletter pour ne rien rater. Restez connectés pour mon épisode hors série sur mes concerts caribéens de 2021. 

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