Célia Wa et Acerola racontent le clip-vidéo de "Adan on Dòt Soléy"

C'est un voyage intérieur ensoleillé que nous propose Célia Wa avec sa musique. Le style groovy de ses débuts s'affirme d'autant plus depuis qu'elle explore des sonorités électroniques notamment à travers ses collaborations avec la beatmakeuse Ka(ra)mi ou encore le compositeur/DJ David Walters. Son EP « Adan On Dót Soléy » sorti en 2018 est porté par le titre du même nom. Mis en ligne en mars 2020, le clip-vidéo a été réalisé par l'agence Acerola. Cette collaboration est l'occasion d'en découvrir un peu plus sur la création audiovisuelle en Guadeloupe d'un point de vue féminin.

Avant d'aborder « Adan On Dot Soléy », je voudrais en savoir un peu plus sur vous, Cindy Pradel, et sur l'agence Acerola. C'est la première fois que je rencontre une réalisatrice guadeloupéenne de clip-vidéo.

Cindy Pradel : Il est vrai que c’est un milieu très masculin. Il nous est arrivé plusieurs fois de surprendre des clients parce que nous étions des femmes. Ensuite, certains clients reconnaissent la « touche féminine » dans nos montages. Je ne connais pas beaucoup de réalisatrices, mais j’apprécie le travail de Coralie Minuty ainsi que celui de Lucie Gabrielle.

Alors comment en êtes-vous arrivée à fonder votre propre agence ?

Cindy Pradel : J’ai toujours voulu travailler à mon compte et plus précisément dans l’image, initialement en tant que Chef de projet. Après l’obtention de mon diplôme en Information et en Communication à Paris X, j’ai décidé de retourner sur mon île pour y trouver du travail. Pas de bol, après près d’un an de recherche active, je n’avais jamais assez d’expérience dans le domaine pour les recruteurs. C’est à ce moment-là que nous avons choisi de nous lancer dans la création d’une entreprise qui nous représente, d’où le nom Acerola qui fait référence à la cerise locale. Quand je dis « nous », je parle de mes deux associés : Jennifer et Emerick. La production audiovisuelle est avant tout un domaine qui nous passionne, mais j’ai dû m’adapter à toutes ces choses qui étaient pour moi nouvelles et qui aujourd’hui me rendent polyvalente et indépendante.

Comment s'est passée la rencontre entre vous deux ?

Célia Wa : J'ai rencontré Cindy et Jennifer par le biais d’un ami durant le Festival ERITAJ en Guadeloupe en Mai 2018. On ne s’est pas beaucoup parlé. Elles venaient de lancer leur activité. Moi étant à Paris et elle en Guadeloupe, on a échangé quelques messages car je voulais une petite captation de mon passage.

Cindy Pradel : Tout à fait. L'équipe se rend parfois au spot coworking pour travailler et faire de belles rencontres, et lors de notre passage, on est tombé sur un collègue qui nous a parlé du projet de réalisation de clip de Célia. Il nous a donc recommandés auprès de son manager, qui nous a ensuite contactés.

Célia Wa : On s'est rencontrées le soir de la représentation et elles ont fait le taff, je n’ai rien eu à expliquer car nous avions la même vision. Elles ont sorti un teaser que j’ai surkiffé ! De ce fait, je me suis dit, « c’est sûr je vais retravailler avec elles », car avec si peu de temps et de préparation, tout était nickel. C’est peut-être un a priori mais je pense que leur sensibilité est différente, leur vision aussi, du fait d’être des femmes. En tout cas, ça fonctionne très bien avec ma façon de travailler.

Cindy Pradel : Et c’est de là qu’est partie une magnifique collaboration entre Célia Wa et l’Agence Acerola. Nous avons déjà travaillé sur deux vidéos, en espérant qu’il y en aura d’autres.

Justement. Parlons donc du clip-vidéo de « Adan On Dót Soléy ». Le concept de KARIBFUTURSOUND m'avait déjà intriguée dans « Woulé Soléy ». Pouvez-vous nous expliquer ce que Karibfutursound représente pour vous ?

Célia Wa : Le concept est parti du fait que depuis des années je ne trouve pas de « catégorie » dans laquelle situer ma musique. J’ai déjà pu être placée dans le jazz, le hip-hop et même les « musique du monde », terme que je trouve vraiment fourre-tout et qui s’adresse à une catégorie d’artistes qu’on n’arrive pas à classer, va savoir pourquoi… Après réflexion, rencontre et discussion, j’ai décidé de partir sur le concept de Karibfutursound, car j’ai toujours été attirée par cette idée de temporalité déformée et eu l’impression de venir d’un autre temps, genre « futur ancestral ». Afin de concrétiser cette vision, j’ai collaboré avec une beatmakeuse, Ka(ra)mi, qui est également pianiste et productrice sur ses propres projets. Nous étions sur la même longueur d’onde et le courant est vite passé quand je lui ai fait écouter mes maquettes. En trois jours, le projet était terminé. Il y avait même plus de 3 morceaux mais j’ai fait le choix de privilégier les plus aboutis. Pour la suite, je vous laisse la surprise!


Le clip-vidéo est sorti en mars 2020 au début du premier confinement en France. Pourquoi ce décalage avec la mise en ligne de l'audio ?

Célia Wa : Le projet est sorti en Novembre 2018. Au départ, cet EP est sorti pour le kiff ! On avait fait un visuel expérimental avec mon acolyte Jeebrahil pour le titre « Woulé solèy » au même moment. L’idée était de clipper les 3 morceaux. Mais auto production oblige, les moyens nécessaires n’étaient pas réunis pour continuer le travail comme il se doit. Il a fallu attendre décembre 2019 durant un déplacement en Guadeloupe pour des concerts avec Expéka, un autre projet que j’aime profondément pour tourner. Je ne regrette pas d’avoir attendu, le résultat est vraiment magnifique!

Comment s'est passée la production du clip-vidéo ?

Célia Wa : Encore une fois par message. J’avais une idée de base que m’avait insufflée Rickysoul, un ami chorégraphe. Je leur en ai parlé. C’est allé très vite, car elles ont accepté très vite. Puis en décembre, on a fait une petite réunion pour gérer le déroulement du tournage et la logistique et le tour était joué.

Cindy Pradel : Avec Célia, nous étions directement sur la même longueur d’onde, le feeling est tout de suite passé. On a pu échanger nos idées, et vu qu’il y avait une bonne cohésion de groupe, tout s’est passé à merveille, du début à la fin. 

Célia Wa : On a tourné en quelques heures ! Par la suite, elles m’avaient donné un délai d'un mois pour le montage mais finalement au bout d’une semaine c’était réglé!

Cindy Pradel : C’est un clip que l’équipe a adoré filmer et que j’ai adoré monter également car il représente tout l’univers que Célia voulait refléter, créer et le fait qu’on ait pu réaliser exactement ce qui était prévu, c’est une victoire ! 

Célia Wa : Bon, il y a eu quelques modif' quand même car je suis très relou ! (rires) Mais, vraiment, tout a été très vite.

Pourquoi ce concept visuel de la plage donnant l'impression d'être sur une île déserte ou sur une autre planète si on pense afrofuturisme ?

Célia Wa : Je voulais un endroit désertique effectivement. Au départ, je voulais vraiment aller dans le désert genre au Sahara et tout ! Mais faute de moyen et de temps, ça ne s’est pas fait! Et en même temps pourquoi chercher aussi loin alors qu’au pays il y a tellement de richesses ! Je ne voulais pas forcément qu’on arrive à situer l’endroit. Pour moi, cette chanson est comme un rite initiatique. Un cheminement. C’est Acerola qui a eu l’idée de cette plage.

Cindy Pradel : On a proposé la plage de Tillet car Célia voulait vraiment un univers désertique.

Célia Wa : Oui, c'est l'anse Tillet à Deshaies. C’est une plage que je connaissais déjà, elle était très sauvage à l’ancienne. A ma grande surprise c’est devenu une plage nudiste ! Je n’ai pas compris ! (rires) Ce n’est pas trop dans les coutumes locales ce genre de pratique, je dis ça je dis rien (rires). Au final, l’idée de la plage était très cohérente car tout les éléments étaient réunis pour ce rituel : la terre, le feu (soleil), le vent ( il y en avait pas mal ce jour-là) et l’eau ! La purification, le retour ou le départ ça dépend où on se situe. Les plages en Guadeloupe signifient beaucoup de choses. Qu’on le veuille ou non, ce sont aussi des « cimetières ». Souvent sous nos pieds, il y a des dépouilles enfouies de personnes réduites en esclavage qui n’ont pas eu droit à des sépultures. Elles refont surface parfois comme sur la plage de Raisins clairs, à Saint-François, où il y avait eu polémique sur le fait que nous n’honorons pas nos ancêtres et qu’il devrait y avoir quelque chose de fait pour tous ces corps et ossements dispersés vulgairement ici et là. Et oui, c’est beaucoup moins exotique vu sous cet angle! Mais c’est la vérité. Du coup, dans ce morceau, j’espère honorer également toutes ces personnes parties dans un autre soleil.


Parlons de la danse. Sans être un "clip à chorégraphie", la danse est centrale dans le visuel.

Célia Wa : La danse fait partie de ma vie. J’ai pratiqué de façon professionnelle pendant un temps mais j’ai dû choisir à un moment où je n’arrivais pas à concilier ma pratique musicale avec. Ce fut très dur « d’abandonner » cette partie de moi. Mais j’ai décidé qu'elle avait toute sa place dans mon univers. Le corps est un instrument magique ! C’était une évidence ! Je crois beaucoup à la synchronicité, au destin. Ce jour là, il devait y avoir plus de danseurs. Au final, pour de multiples raisons, ils étaient 3. La trinité. Et quel trio gagnant ! Ce sont chacun des solistes avec leur propre personnalité et parcours artistique, leur propre monde, qui se sont exprimés sur ce morceau.

Mais était-ce une chorégraphie préparée ou de l'improvisation ?

Célia Wa : De l’improvisation, et j’aime ça aussi ! On saisit l'instant, la vie du moment, l’énergie; le contexte et les éléments. Leurs solos (Shanice Galle, Yéléna, Josué Réveillé) ont été faits en une prise. Des moments magiques encore une fois.

Cindy Pradel : Nous saluons leur performance. La danse était un élément-clé de ce clip-vidéo.

Quels conseils donneriez-vous pour bien filmer une séquence de danse ?

Cindy Pradel : Pour bien filmer une séquence de danse, il est indispensable de communiquer avec les danseurs afin de savoir ce qu’ils veulent exprimer à travers leurs mouvements et bien entendu, la passion. 

Pouvez-vous nous raconter une anecdote de tournage ?

Célia Wa : (rires) Il y en a plusieurs ! Pour rester sur le sujet de la danse, Yéléna était censée juste me maquiller. Au final, elle s’est retrouvée à danser, ce n’était pas du tout prévu. Et aussi, j’étais désespérée au début du tournage, la pluie nous a rendu visite ! Quel stress ! Nous n'avions aucun endroit pour nous abriter, juste une bâche ou un drap, je ne me rappelle plus ! A deux reprises, nous avons dû arrêter de tourner.

Cindy Pradel : La météo a vraiment été la plus grosse difficulté rencontrée. On a dû faire face à beaucoup de variations de lumière, une bonne lumière étant indispensable à une image de qualité. Mais heureusement, nous étions équipés de notre élément magique : le réflecteur. Lorsqu'un tournage a lieu en extérieur, il faut s’attendre aux changements météorologiques. Le tournage a donc pris plus de temps que prévu, mais notre motivation est restée la même. 

Célia Wa : Toute l’équipe restait positive. Nous avons chanté du Toto Bissainthe (“Souflé van”) et demandé aux ancêtres la permission et la force. Au final, tout s’est bien passé !

Imaginez un.e enfant de 10 ans qui regarde ce clip en 2100. Quels commentaires espérez-vous entendre ?

Cindy Pradel : J’espère qu’ils ressentiront autant d'émotions fortes lors du visionnage et qu’ils comprendront également l’histoire qu’a voulu transmettre Célia Wa à travers ce clip. J’espère également qu’ils pourront s’identifier au message véhiculé.

Célia Wa : Woyyyy! J’aimerais tellement que ce morceau traverse les époques ! J’espère que cet enfant aura accès à cet environnement, je ne suis pas sûre que les îles existeront avec la montée des eaux. Mais sinon j’espère qu’il/elle trouvera ça beau et que le créole sera une langue familière pour lui.

Avant de terminer cette interview, pouvez-vous nous dire comment la pandémie a affecté votre travail ?

Cindy Pradel : Pendant un certain temps, c’était plutôt compliqué. On a dû tout mettre sur pause puisqu’il n’y avait pas de tournage, il fallait rester chez soi pour le bien de tous. Mais une fois le confinement terminé, nous avons su rebondir et se relancer en mettant les bouchées doubles. 

Célia Wa : Ayyyy! Dur dur! J’étais en pleine tournée avec David Walters. On avait commencé en Janvier 2020 et nous étions bien lancés, parés à conquérir le monde! Tout s’est arrêté d’un coup. Plus de concert. J’avais des dates aussi prévues pour mon propre projet. Il a fallu rebondir, j’avais besoin de jouer. C’était important pour mon équilibre. Je n’ai jamais posté autant de vidéos sur les réseaux. J’ai fait pas mal de reprises avec ma touche perso et c’était cool ! L’exercice m’a bien plu. Ça m’a permis d’élargir mon répertoire et de tester pleins de choses. Après, rien ne remplace un vrai concert avec un public. J'ai fait très peu de live insta, mais j’ai pu en suivre quelques-uns et ça faisait du bien, à défaut de ne pas pouvoir écouter l’artiste sur une scène. C’est un petit substitut, mais pour moi ça ne peut pas remplacer la réalité, le vrai concert en live, en présence et énergie. C’est très important pour nous de vibrer ensemble, de se sentir ensemble. Il y a une énergie indescriptible quand tu joues face à un public. De même, quand tu es spectateur, tu reçois la musique direct dans ton corps, ça vibre de partout, ce qui est compliqué à ressentir en live virtuel !

Quels sont vos futurs projets ?

Cindy Pradel : On vous prépare de nombreuses petites surprises, dont une que nous avons particulièrement hâte de partager avec vous. En attendant, n’hésitez pas à suivre nos différents réseaux sociaux pour ne rien rater. Instagram & Facebook : @acerola.production

Célia Wa : J'ai un nouvel EP qui va sortir en mai 2021. C’est un projet que j’ai commencé il y a quelques années maintenant, qui a muté, grandi, mûri et j’ai hâte de partager cela avec vous.

Bonus : pouvez-vous citer un clip-vidéo qui, pour vous, représente le mieux la Guadeloupe et nous expliquer pourquoi ?

Cindy Pradel : Nous avons eu l’opportunité de réaliser une vidéo de sensibilisation pour la journée mondiale de lutte contre la drépanocytose. C'était un très beau projet pour l’association Guadeloupe Espoir Drépanocytose, car elle véhicule un message positif. La vidéo traite d’un sujet qui touche une partie non négligeable de la population guadeloupéenne. Elle permet d’entendre la voix de Guadeloupéens qui souffrent, car touchés directement ou non par la maladie, dans le monde entier. C’est une vidéo sur les Guadeloupéens, faite par des Guadeloupéens et qui parlent d’une réalité aussi guadeloupéenne.

Célia Wa : « Rèv an mwen » d'Admiral T. A l’ancienne maintenant ! (rires) Déjà parce que ce son, cet album « Mozaik kreyol », m’a accompagné durant mes premières années d’exil à Paris. Il tournait en boucle dans mon discman! Et oui, c’était une autre époque, je sais ! Et ce clip dirigé par Slas (Janluk Stanislas), pour moi, montre une Guadeloupe qui nous ressemble enfin. En 2003, ce fut une grande fierté. C’est beau, simple et ça montre différentes facettes de ce magnifique pays qu'est la Guadeloupe !


Merci à Célia Wa et Cindy Pradel de l’Agence Acerola. Vous pouvez suivre Célia Wa sur Instagram @c.lia.wa.

Rendez-vous mercredi prochain pour mon focus sur “Adan On Dot Soléy”.