"Work It" de FLO

“UP, UP, UP”… C’est ce qu’on retient en premier en écoutant “Work It” de FLO, extrait de son premier album studio “A Long Time Coming”. Quand j’ai découvert cet opus il y a bientôt trois ans, j’avais été étonnée du nombre de featurings. En effet, le hip-hop de FLO permet de naviguer dans les styles musicaux propres à la Guadeloupe comme le zouk avec Jean-Michel Rotin, la musique kako avec Dominik Coco, le gwo ka avec Wozan Moza. Cependant, c’est seule qu’elle interprète “Work It”. Je pense que c’est le premier morceau que j’ai écouté en boucle sur quelques jours pour m’aider à m’évader pendant les trajets de bus en hiver à 7 heures du matin. Comme la rappeuse l’explique dans son interview pour Karukerament.com, c’est une production de “Staniski, qu’on ne présente plus, le hitmaker des Antilles." Elle lui a passé “commande d’un titre un peu électro afrobeat avec sa touche Caribbean, une sonorité world qui pourrait plaire au plus grand nombre.” Avec un couplet en anglais, en créole et en français, elle vise ouvertement un marché international, mais le clip-vidéo réalisé par Cigey Design et mis en ligne en décembre 2018 ancre cette ambiance de liberté et l’envie de danser dans un décor guadeloupéen.

Une Guadeloupe fun mais authentique

A l’instar du clip-vidéo de “Caribbean” de Rachelle Allison tourné en Martinique, le clip-vidéo de “Work It” valorise une identité visuelle commune dans la Caraïbe. J’ai beau remettre en question la représentation d’une Guadeloupe comme “paradis aux milles couleurs vives”, je prends plaisir à regarder toute image présentant cet aspect en gardant le point de vue lokal. Dans le clip-vidéo “Work It”, on ne voit pas juste la Guadeloupe carte postale que les touristes recherchent. On voit la Guadeloupe comme un lieu de vie, comme un espace où la population locale peut se sentir bien. Que ce soit les danseurs sur le ponton de la marina ou sur la plage de Grande Anse, que ce soit FLO déambulant dans les rues de Deshaies avec ses amies, le clip-vidéo nous montre des décors naturels et urbains sans tomber dans le pittoresque ni sans documenter les dures conditions de vie. Simplicité mais authenticité comme leurs tenues qui s’accordent aux couleurs des décors résument la beauté de ce visuel qui capture le caractère intemporel que la Caraïbe peut avoir.

Une Guadeloupe qui bouge

Je suis fan de danse depuis mon plus jeune âge. J’adorais reproduire les chorégraphies des chanteurs américains. Je n’ai jamais eu la souplesse pour acquérir un niveau débutant de dancehall queen, mais j’ai scrupuleusement “signal di plane”, “run da boat” et “willie bounce” au rythme des nouveautés jamaïcaines jusqu’en 2005. Rares étaient les clips-vidéos guadeloupéens de l’époque me permettant d’exprimer cette passion pour la danse. En regardant “Work It” la première fois, j’ai eu des flashbacks de “Ma Ferrari” de Nèg a Sound qui m’avait donné aussi cette impression de m’inviter à m’amuser dans une ambiance bonne enfant. Les danseuses et les danseurs de la compagnie Djòk offrent une représentation de la jeunesse guadeloupéenne dans sa diversité et je me surprends encore quelques fois à m’imaginer reprenant la chorégraphie avec eux. Vu l’importance de la chorégraphie dans la promotion de la k-pop, je ne suis pas étonnée que Sound Republic, la société de distribution sud-coréenne de l’album, propose la version chorégraphie du clip-vidéo… Bien que le montage montre parfois les raccords, les danseurs vivent leur chorégraphie avec une spontanéité et une intensité qui culminent dans la séquence dans le sable. Garder cette énergie sur un sol inégal mérite d’être souligné. J’espère voir plus de clips à chorégraphie.

En découvrant FLO en 2018, j’ai réalisé que mon manque d’intérêt pour la scène hip-hop/dancehall guadeloupéenne venait en partie de l’absence de voix féminines. Bercée par les tubes de Queen Latifah, MC Lyte, Lil’ Kim, Eve ou encore Missy Elliott dans les années 90/2000, je ne voyais pas de chanteuses de hip-hop dans les médias français auxquelles m’identifier. Ce n’est pas à dire qu’elles n’existaient pas, mais le développement du marché musical français n’a pas été favorable à des artistes comme Lady Laistee ou Casey. Aucune n’a connu l'engouement médiatique suscité par Diam’s qui était LA figure féminine du rap français dans la première décennie des années 2000. Au niveau local, les chanteuses peinent à avoir de la visibilité si elles ne font pas du zouk ou de la pop kréyol. Malgré tout, les rappeuses guadeloupéennes aux univers différents entrent dans la lumière depuis quelques années. Les générations à venir pourront certainement se construire des souvenirs similaires aux miens en y mettant avant tout des artistes guadeloupéennes.