Focus Karayib : Lorenz

Dix semaines. J'ai passé dix semaines à vivre au rythme de la discographie de Lorenz… Alors que l’ été 2020 s’achève, il est temps de faire le bilan calmement et respectueusement en se remémorant comment j'ai fini par accepter d’entrer dans l'univers de cet artiste guadeloupéen.

Loin des yeux, près de mes oreilles

Tout commence en 2016. Je me remets à écouter du zouk après une dizaine d'années de K-Pop. A l’époque, Lorenz fait la promo du single “Pwoblèm” . Je n’accroche pas du tout aux paroles, mais la structure musicale me plait suffisamment pour me retrouver à fredonner quand la chanson passe à la radio… Et elle passe TOUT LE TEMPS. La situation se reproduit à chaque single qu’il sort entre 2016 et 2019 dont son single Mwen Vlé avec Dasha, ce qui fait que je sais identifier sa voix sans être capable d’y associer un visage puisque je ne prends pas le temps de youtuber ses clips. Jusqu’à la mise en ligne de “L’Océan” en 2019 pour l’album concept “Retro vers le futur” de DJ Jaïro. Je donne une chance au clip-vidéo uniquement parce que la version originale a une place particulière dans mon cœur. Je vois Lorenz pour la première fois… et je suis d’autant plus perplexe. Avec ce physique avantageux, une voix agréable et des productions abouties comme “Luv Me”, pourquoi n’a-t-il pas fait le crossover sur la scène nationale ? Et je parle au-delà du simple fait que l’industrie musicale française bloque les artistes de zouk. A l’heure du streaming et des réseaux sociaux, l’argument n’a plus le même poids à part si on reste fixés dans une vision XXe siècle . S’il y a bien une chose que mes années de K-Pop m’ont apprise, c’est que tout système peut être hacké. #isaidwhatisaid Fermeture de parenthèse qui n’a pas été ouverte.

Quelques semaines plus tard, pendant mon rattrapage de la version podcast de Street Diamond, j’écoute son passage dans l’émission enregistrée fin 2018. Son analyse sur la situation du zouk contemporain me parait réaliste, mais j’ai tellement l’habitude d’entendre le zouk dénigré ou alors d’être réduit à ce qui s’est fait au XXe siècle que c’est surtout la passion dans sa voix qui m’interpelle. Lorenz ne fait pas du zouk par défaut. Il le fait parce qu’il aime et respecte le zouk.

La magie du live

La personnalité que je perçois et les compliments de Nesly à son sujet me font réfléchir à la possibilité d’aller le voir en concert solo en novembre 2019. Les gens qui me suivent depuis myinsaeng.com savent que mes déplacements en concert sont le fruit d’une longue réflexion… Et pour cette fois-ci, je n'ose pas braver un retour chez moi à 23h mon dernier jour de vacances. En plus, je le considère encore juste comme un ambianceur à jolie voix. Puis arrive le concert Générations Zouk en février 2020. Première fois de ma vie que j’entends “Touné” dont j’ignorais l’existence et je suis intriguée parce que cette chanson ne ressemble pas à ce que j’entends d'habitude. Que peut-elle donner en version studio ? Me voilà donc sur Spotify le lendemain pour réécouter la structure de la chanson. J’en ai parlé dans ma chronique #mercrediavec, mais il n’est pas si facile de créer une mélodie cohérente avec des séquences différentes. Je tente alors d’écouter ses premiers morceaux. Mot-clé “tente”. A défaut d’apprécier, je salue néanmoins le fait que la majorité de sa discographie soit disponible. J’ai encore tenté à deux ou trois reprises entre fin février et début mars, mais rien ne passe. Et là… Confinement ! Sa petite vidéo de “Konfiné mwen évè’w” atterrit dans mon fil Twitter. La miniature montrant le cadre home studio me pousse à cliquer avec le son activé. J’ai enfin le déclic. Le public plébiscite le titre au point où Lorenz sort le single que je reconnais avoir beaucoup écouté en avril… Et que j'écoute encore. Pendant que je bosse sur le hors-série 3 de mon podcast, je réfléchis sérieusement à ouvrir la section musique de karukerament.com et je pense aussi à écrire la suite de mes travaux sur le zouk comme pop music kréyol internationale. Lorenz est alors naturellement le premier nom qui me vient en tête pour un Focus Karayib. Pourquoi ?

Pour l’instant, il est l’artiste zouk masculin de ma génération qui correspond le mieux à ce que je célèbre quand j’utilise le #streamcaribbean c’est-à-dire un artiste avec un rayonnement potentiel sur la scène internationale. Dans mes chroniques #mercrediavec, je vous explique pas à pas… ou plutôt chanson après chanson les titres de sa discographie qui m’ont amenée à ce constat. De ses débuts “Bling bling zoukeur” (2004 - 2008) à sa phase “Versatile” (2017 - 2020) aujourd’hui en passant par sa phase “Playa Gonna Play” (2013 - 2016), on peut entendre le récit de vie d’un jeune Caribéen de ce début du XXIe siècle. Peu importe que les textes soient autobiographiques ou pas, il offre une vision masculine contemporaine de l’amour avec la dose de vulnérabilité nécessaire. Il a fait des efforts constants pour progresser artistiquement au point d’avoir développé un style caméléon qui s’adapte à n’importe quel genre musical et à n’importe quel public… C’est probablement pour cette raison qu’il peut afficher plus de 15 ans de carrière. Il chante aussi bien en français qu’en créole. Il chante aussi bien l’amour que le sexe. Il collabore aussi bien avec des chanteurs qu’avec des rappeurs… L’adjectif versatile lui correspond effectivement. Et peut-être que c'est justement le revers de la médaille.

Lorenz, le paradoxe

Son manque de visibilité pourrait être dû à une question de timing par rapport à ses propositions artistiques. Je me répète, mais je suis surprise de voir que Lorenz répond à la majorité des critères pour être catégorisé comme “beau” et pourtant il n’en joue pas. On a l’impression qu’il a tout fait pour éviter l'image du gendre idéal, ce qui aurait pu effectivement le bloquer en tant que chanteur de zouk. De toute façon, son style bling bling zoukeur était trop impersonnel. Entre 2004 et 2008, M. Pokora attirait toutes les attentions de l’industrie française, donc Lorenz se serait difficilement démarqué à l’époque. Pendant sa phase “Playa Gonna Play”, son interprétation du bad boy quand même gentil gagne en subtilité. Cependant, au lieu de proposer un zouk langoureux ayant déjà fait ses preuves comme Thierry Cham ou Slaï l'ont fait, Lorenz redéfinit son univers musical pour revenir à la base des bases : un zouk dansant. Sauf que quelques artistes masculins noirs francophones se distinguent dans le paysage musical pop de 2013-2016 : Stromae, Maître Gim’s et Black M. Vu que l’industrie ne voit encore le zouk dansant qu’avec la nostalgie du XXe siècle (Kassav, Zouk Machine, Francky Vincent, La Compagnie créole), Lorenz a beau proposer des tubes, sa stratégie marketing ne souligne pas la singularité de sa démarche face à un “Papaoutai” (2013) ou un “Sapés comme jamais” (2015). Et oui, je sais que l’argent est le nerf de la guerre pour toute stratégie marketing, je fais juste un constat de ce qui fonctionnait à l’époque. La phase “Versatile” conduit Lorenz dans une impasse pour la scène nationale actuelle. À l’aise dans tous les styles aussi bien visuellement que musicalement désormais, il n’est plus malléable pour être markété dans une catégorie. Mais à ce stade de sa carrière, a-t-il encore un intérêt à se limiter à la France hexagonale ?

Une légende en devenir ?

Il y a quelques semaines, j'ai débattu avec une Twitterienne qui me citait Aya Nakamura comme exemple de zouk à succès, car c'est la tendance du moment… Le zouk est peut-être une tendance exotique pour le reste du monde, mais pour nous, c'est le quotidien. Le problème n'est pas qu’Aya Nakamura fasse un tube zouk en 2020. Le problème est que nos artistes comme Lorenz faisant un zouk adapté à l’ère du temps ne capitalisent pas sur les efforts de nos générations précédentes.

Comme je l'ai dit dans l'ultime #mercrediavec, certains de ses derniers titres sont vraiment calibrés pour l'international. Surtout “Luv Me”, un hymne estival qui devrait devenir un classique. Comme pour toutes nos productions artistiques, il ne s’agit plus tant de faire des oeuvres de qualité. Il s’agit d’être capable de les mettre en valeur par nous-mêmes mais pour le monde entier. #isaidwhatisaid x2 Je ne sais pas quels étaient les objectifs de Lorenz en début de carrière, je ne sais pas ce qu’ils sont aujourd'hui. Voilà la dernière question que je me pose : au bout d’une quinzaine d’années de carrière, quel héritage est-il en train de construire ? Grâce à sa versatilité, Lorenz est toujours resté dans les bonnes tendances. Son duo avec le chanteur haïtien Paska “Chalè” sorti pendant l’été 2020 en est un énième exemple… Mais est-il capable de créer une tendance ? Le potentiel est là.

Mon moi de 2004 a sûrement eu l’occasion d’écouter du Lorenz sans y trouver de l’intérêt et n’aurait probablement pas pris la peine de le télécharger en peer-to-peer à l’ancienne. Si mon moi de 2013 avait entendu “Touné”, je suis sûre que cette chanson aurait trouvé sa place dans les playlists K-Pop dans mon iPod… si j’avais possédé un iPod. Mon moi de 2020 l’a tellement streamé qu’il sera sûrement dans mon top 3 annuel des artistes les plus écoutés sur Spotify (sorry Gage). JE considère qu’il a déjà un bel héritage musical (sans avoir les retombées financières à la hauteur du mérite, je suppose). Il enchaîne les tubes depuis 5 ans, oui. Mais les paroles sur les problèmes du célibataire ou sur l’épanouissement de l’homme en couple ne peuvent durer éternellement. Aussi bonne que sa discographie peut être, aussi intéressantes que ses collaborations peuvent être, qu’est-ce qui fait vibrer Lorenz ?

(il a fait un second tweet pour corriger la faute de conjugaison du participe passé “écrit”)

Je reste à l’écoute. Explorer un zouk en dehors du thème de l’amour. Raconter ce qui nous lie en tant que peuple. Immortaliser nos histoires de souffrances et de joie par la musique. Exprimer son authenticité en chantant sa réalité… C’est parfois ce qui fait la différence entre être un “bon artiste”,un “artiste génial” et “un artiste légendaire”.