Eugénie Grandit, une fiction pour un futurisme diasporique ?

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Après mon immersion dans le fabuleux monde des podcasts il y a 3 ans, je pense que les fictions audio étaient la suite logique. Je ne parle pas de livre audio, mais bien de fiction audio comme les pièces de théâtre ou les soap opera radiophoniques des années 1940/1960. Une vingtaine de fictions US plus tard dont l'excellent Bronzeville et le magnifique Moonface (j’en parlerai prochainement), une fiction audio française a enfin déclenché mon enthousiasme : Eugénie Grandit.

Écrite par Ketty Steward, cette fiction a été mise en ligne en décembre 2019 sur France Culture dans le cadre d'une trilogie "Science-fiction : mythes d'un futur proche".

2043, en France. Eugénie, 15 ans et demi se sent de plus en plus étrangère à son univers. Sa découverte de capacités surhumaines exacerbe ses questionnements sur les circonstances de sa naissance…

Dès que j'ai entendu le titre, j'ai pensé à Eugénie Grandet de Balzac. Une lettre de différence. Et quelle différence ! À part le fait que le personnage central soit une jeune fille et que l'histoire se déroule en France, il n'y aucun point commun entre les deux fictions. Au bout de trois écoutes, Eugénie Grandit sonnait comme un état des lieux de la situation actuelle de notre société mais ouvrait aussi le champs des possibles pour changer les choses.

Les conséquences de notre présent

2043. Si tout se passe bien, je devrais être encore en vie. C'est donc un futur proche. Je suis de la génération des parents d'Eugénie. Celle qui se rappellera de l'attentisme face aux urgences écologiques pourtant débattues à la fin du siècle dernier. Celle qui devra s'habituer à un changement radical dans son mode de vie et sa façon de consommer alors que les grandes corporations continueront à nous exploiter. Celle pour qui la santé mentale ne devrait plus être un tabou... Et dans Eugénie Grandit, nous avons un aperçu des solutions apportées à ces problèmes. Sans vous spoiler, ces solutions décrites par Ketty Syeward, et tout à fait plausibles, questionnent l'humanisation de la technologie par le biais de l'intelligence artificielle.

Les conséquences de notre passé

Il y a quelques jours, Netflix a mis en ligne The Witcher, une série fantasy médiévale. Un Tweet a fait son apparition sur mon fil Twitter. La personne dénonçait la présence d'un chevalier noir... En 2019, penser les Noirs dans l'Europe médiévale sans un statut subalterne est un concept encore difficile à accepter pour certain.e.s alors que les dragons et autres créatures fantastiques ne leur posent aucun problème d'imagination. Et la représentation des Noirs dans la science-fiction est un des enjeux de l’afrofuturisme. La France de 2043 où est née et où a grandi Eugénie reste une France où le racisme existe. Le poids des héritages du passé colonial est présent dès les premières minutes avec un rappel sur les origines martiniquaises des parents issus de la diaspora. Mais au cas où cela échapperait à l’auditeur.trice lambda, Ketty Steward a jalonné le récit d’indications pour ne laisser aucun doute sur les enjeux autour de l’identité noire d’Eugénie. Les concerné.e.s apprécieront la représentation de situations qui nous sont si familières quand nous entrons dans des espaces où nous ne sommes pas attendu.e.s.

Quel futur ?

Le fonctionnement de la société française décrite dans ces 52 minutes ressemble tellement à notre fonctionnement actuel que je ne saurais affirmer qu’Eugénie Grandit est une dystopie… Ou alors vivons-nous déjà en dystopie ? L’éveil d’Eugénie concerne son identité mais aussi la compréhension du système dont elle fait partie. Il est difficile de parler de la fin sans vous spoiler, donc je parlerai du futur de la représentation. Quel futur pour la représentation des Noirs dans la littérature de science-fiction française ? Je fais la distinction entre afrofuturisme et futurisme caribéen, mais l’écoute d’Eugénie Grandit m’a rappelé l’existence d’un troisième champ : le futurisme diasporique. Je sais qu’on inclut les diasporas dans l’afrofuturisme, mais je trouve que c’est effacer leurs problématiques spécifiques sans compter que si c’est un personnage caribéen, son environnement n’est pas exclusivement afrodescendant… Bref, ce n’est pas le lieu pour discuter vocabulaire. Il n’est pas nécessaire de définir précisément la catégorie littéraire d’Eugénie Grandit pour discuter des enjeux de représentation. Comme dans le film Battledream Chronicle (Alain Bidard, 2015), Eugénie Grandit explore un futur où un personnage noir reprend en main sa destinée. Et, cerise sur le gâteau, ce personnage est une femme.

Que cette décennie nous apporte d’autres héroïnes noires. En science-fiction et ailleurs.